“The power of love. Le concept de la chanson tête-rebord-fenêtre, dans les moments de solitude où effectivement, on est irrésistiblement attiré par le rebord de sa fenêtre, on penche la tête on regarde dans le vague, on pense au passé, ça ne marche qu’avec un seul type de chanson, de Céline Dion, et ça vaut tous les psy” Boomerang d’Augustin Trapenard, avec Valérie Lemercier.
Moi c’est “Sur le même bateau”.
Accoudé à la balustrade comme sur la passerelle à l’embarquement, le pied posé sur la chambranle. La tête, sur la bordure de l’autre fenêtre restée fermée. Les yeux, dans le ciel. Immaculé. Pur. Vide. Net. Bleu.
Les yeux dans le vague. Une douce euphorie me fait légèrement tanguer. L’envie d’être heureux me tenaille, devant ce ciel vierge, sous la morsure du froid de novembre. L’instant l’est, heureux. Le fond n’y parvient pas totalement : c’est le bonheur d’être triste. Le confinement, le second, déjà, s’installe. Avec lui la rupture d’avec les amis, les proches, d’avec l’affolement du quotidien, les sorties, le cinéma que j’avais retrouvé, les théâtres que je n’aurai pas eu le temps de refréquenter, la salle de sport déjà refermée, l’escalade jamais vraiment récupérée, les sorties motos qui se multipliaient, déjà tuées. Un ciel bleu, intensément, parfait, sans une brume et sans un nuage et qui commence à foncer. Un ciel océanique après une journée de tempête, lavé de tout. Vierge, mais surtout vide. Un soleil, oui, mais le froid mordant de la réalité de novembre. La tempe sur ma fenêtre, la main sur la balustrade de fonte noire, l’esprit divague et je sens s’établir la nonchalance de la mélancolie. Malgré moi, je pense à ma vie d’avant, celle que les impôts, abruptement, viennent de me rappeler en affichant le mot “divorcé” à coté de “statut”. Est-ce bien utile de nous infliger ce rappel ? Célibataire aurait été pareil. Juste, ça aurait rembobiné ma vie un poil plus loin lorsque, plein d’espoir, de naïveté, je ne m’imaginais pas du tout en couple stable, lorsque je n’avais pas gouté à la redoutable satisfaction d’être établi dans un moule social confortable, aujourd’hui encore embelli par l’érosion du temps qui passe, qui poli les bons souvenirs et arrondi le tranchant des mauvais.
Car quoi de plus malheureux qu’un mauvais souvenir, à part un souvenir heureux dont on sait qu’il ne se reproduira plus ? C’est le point de départ idéal pour se laisser glisser entre les draps du désespoir. La tristesse, la rancœur, l’amertume sont des solutions si faciles que les retrouver est presque encourageant. C’est comme une démission, mais en plus passif. Il n’y a même pas besoin de le décider, juste se laisser faire. Une gentille glissade sur une planche que l’on a savonné soi-même.
Mais je n’ai pas envie de cette glissade. Je n’en ai pas envie. Encore moins que de rester cloitré chez moi, ni d’être irréprochable. Pas plus que prétendre l’être. La tempe sur la fenêtre, les yeux mi-clos, je vois le ciel s’obscurcir doucement. C’est le soir. Des lumières, doucement, s’allument.
De toute manière, je sais bien que je briserai ce confinement. Un peu, pas trop, juste assez pour me sentir légèrement coupable, mais pas irresponsable. Juste un peu, par envie d’être heureux, pour boire, manger, fumer et rire. Pour ne surtout pas penser au lendemain, oublier ce qui est perdu, et me perdre dans les regards des amis, le sourire de l’un, l’ironie de l’autre, les regarder et les aimer car finalement, avec eux nous sommes sur le même bateau.
Un doigt de champagne, un toast au départ
Dans les soutes le bagne, et les heures de quart
Des soirées mondaines, des valses ou tango,
Au ombres à la peine un mauvais tord boyau
En attendant l’escale, Athène ou Macao,
Sous les mêmes étoiles, sur le même bateau.
Ça vaut tous les psys.