Un du Normandie-Niémen

Dans la chambre du haut, aux murs peints de paysages évoquant le sud, peut être même la Grèce, alignés sur l’étagère, petite, en bois foncé, collée au mur, dormaient quelques bouquins. Des trucs sans valeur, des poches usés de la fameuse collection « j’ai lu ». Probablement des livres de mon père, ou de mon oncle. En m’installant quelques temps dans cette chambre, j’ai pioché dans ces ouvrages. J’en ai lu un certain nombre, déplaçant la poussière et réveillant les pages jaunies. Quoique, sur ces collections, je crois que le papier d’origine était plutôt jaunâtre, d’une qualité un peu douteuse, certes, mais bien suffisante pour un livre de poche vendus quelques malheureux francs.

Ainsi, après avoir pillé la bibliothèque de ma mère, oubliée chez mon grand père maternel, je fouillais dans celle de mon père, abandonnée chez le sien. De ces livres, certains ont été le début d’une longue relation avec l’auteur, presque obsessionnelle. Henri Troyat ou Bernard Clavel en sont les exemples parfaits. La série « La grande patience » de Clavel, m’a accompagné plusieurs semaines, m’a porté dans des régions, des moments, des vies qui m’ont absolument fascinés et marqués. Julien Dubois aura été mon premier amour, le premier garçon que j’aurai aimé tenir dans mes bras, dont j’aurai caressé le visage, soulignant les sourcils et épousant les pommettes, le menton, l’empreinte de l’ange du bout des doigts, dont j’aurai senti les cheveux et ressenti les frissons qui accompagnent ces moments de sensualité parfaite. C’était plus simple d’être dans l’imaginaire, de humer en songe cet apprenti boulanger, probablement un parfum mélangé, l’âcreté de la pâte à pain, le musc de la sueur, l’humidité un peu sale d’un garçon pauvre, courageux et un peu naïf. Oh, oui, je l’ai aimé.

Klim et Vissarion, maitre et serf de la Russie ancienne contée par Troyat dans Les héritiers de l’avenir, je les ai regardés différemment, omniscient, avec l’acuité que revêt une curiosité mêlée du fantasme de ce pays d’orient aux moeurs aussi rudes que le climat et au language aussi lourd que la raspoutitsa. Et ce n’était là aussi qu’un début : j’ai ensuite consciencieusement lu toutes les séries romanesques de Troyat que je trouvais dans cette bibliothèque. Des héritiers de l’avenir, je suis passé à La lumière des justes, puis Les semailles et les moissons, puis les Eygletières.

Parmi ces livres, il y avait parfois une œuvre égarée, un auteur solitaire. “Un du Normandie Niemen” est de ceux là. Roger Sauvage y relate son expérience d’aviateur Français en Russie, à partir de 1943. Guerre mondiale, aviation, je ne pouvais que vouloir lire ce témoignage. Je l’ai dévoré, fasciné et passionné par leur courage auquel nous devons une part de notre liberté, par les mécaniques un peu brinquebalantes de leurs aéronefs -je donnerai beaucoup pour voler dans un Yak-3-, par l’humanité liant ces hommes au destins éphémères, entre eux d’abord mais aussi avec leurs mécaniciens ou leurs cantinières.

Et puis ces livres ont repris place là où ils étaient. Et puis le grand père est décédé. Et puis une succession conflictuelle a mis ce livre hors de ma portée. En y repensant ces derniers mois, j’ai eu envie de le retrouver. Quelques clics plus tard et quelques jours après, je retrouvais cette couleur bleue de la collection « j’ai lu leur aventure », et l’odeur douçâtre du papier jauni a envahi mon salon. Pour mon plus grand plaisir.

Je vais devoir maintenant commander « Attaquez le Tirpitz ».

Frondeuses frondaisons

Oui les gens sont sortis, sans masque, moi le premier, oui on a fait n’importe quoi coté gestes barrière, mais n’empêche, c’était un cool weekend au bois de Vincennes.

Oui c’était le weekend de déconfinement, et il a finalement répondu très précisément à ce qui m’avait manqué le plus : De la lumière, celle du soleil, un peu de fraicheur, celle d’une petite brise, un peu de chaleur, celle du coup de soleil à la fin de la première journée. Deux journées entières, étendu dans la verdure, à jouer avec les herbes du bout des orteils, à enchainer les verres de vin rosé dans des charmantes petites coupes juste qu’il faut de vintage pour qu’elles soient adorables. Regarder les gens, commenter les garçons qui courent – irréductibles sportifs ou néo-joggers qui n’ont pas encore renoncé ? -, se plaindre du gamin qui gâche notre tranquillité en chouinant – alors qu’en vrai, ça aussi c’est la vie et c’est charmant -, s’amuser de la vieille dame qui fait du tai-chi – qui nous dit qu’on ne fera pas la même chose dans 40 ans ?-, ricaner sur la propriétaire du petit chien un peu laid qui tente sa chance auprès de tous les attroupement de pique-niqueurs – alors qu’en vrai moi aussi je voudrais un chien pour rigoler de son comportement adorablement cabochard -. Charrier le pote qui nous a fait déménager pour aller à l’ombre, parce que trop chaud, pour revenir finalement au soleil, parce que trop froid. Savourer la caresse discrète et naturelle de cet autre, qui me fait me sentir si vivant sur la ligne de crète des élans du cœur. Espérer que rien ne change et que ce moment de liberté et d’insouciance ne s’épuise jamais.

Rire, exagérer, mentir, être puéril et sot, regarder presque avec nostalgie ces deux ou trois mois passés finalement bien aisément, comme une parenthèse dont on se demande si on veut vraiment la refermer. Conserver son alcoolémie bien constante, juste assez pour ne pas être sérieux, juste pas trop pour ne pas regretter, pile ce qu’il faut pour ne surtout, surtout pas culpabiliser. Oh, c’est facile lorsque, comme moi, le confinement ne s’est accompagné d’aucune crainte réelle, ni professionnelle ni personnelle. Nul malade sérieux dans mon entourage, de l’argent en fin de mois sans inquiétude, et quelques amis assez proches pour briser la monotonie en trichant un peu avec la liste des déplacements « autorisés par l’article 3 du décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ». Égoïsme pur, oui. Je préfère ne même pas chercher d’excuse ni même faire diversion en renvoyant chacun à ses contradictions. De toute manière, si je culpabilise de ma chance, je ne suis pas certain de culpabiliser de mes égoïsmes.

A bien y penser, il est d’ailleurs très probable que rien que ces deux pique-niques sous les frondaisons de Vincennes fraudaient les autorisations actuelles. Quelques esprits chagrins s’en offusqueront. Ils ont raison. Maintenant que les coupables en ont convenu, qu’ils nous laissent tranquilles.

Mes géraniums, mes petits rosiers, l’orage et moi

L’éclair illumina brièvement le salon. Un flash diffus, tempéré par les voilages masquant la fenêtre. Ah ces deux voilages. Déjà là quand j’ai pris l’appartement. Un peu déchirés par le chat qui habitait l’appartement. Un peu terne, aussi. Je voulais les changer, et puis, la routine, le quotidien, l’habitude les ont fait entrer dans le paysage, ils sont devenus un peu comme un souvenir, un marqueur de ceux qui étaient là avant moi, et j’aime cette idée que nous ne sommes tous que de passage. Comme cette fiole d’huile pimentée oubliée dans la cuisine, ce gant de toilette agrippé à un crochet dans la baignoire ou les bâtonnets de parfum d’ambiance, au dessus du coffret électrique, dans l’entrée. Les voilages je ne sais pas, mais ces bâtonnets, pour sûr qu’ils seront là quand, à mon tour, je partirai.

L’éclair, donc, illumina le salon. Je pensais à ces orages, enfant. Ces avertissement des parents, débranchez vos appareils électriques, les garçons, si la foudre tombe… Elle n’est jamais tombée, bien entendu. Après le flash vint le tonnerre, en roulement long et grave, qui masqua le léger mais constant martèlement de la pluie. Je repensais à ces moments de pluie, en camping, sous la tente. Je ne le disais pas, mais j’aimais presque ces matins de pluie en camping. Le bruit des gouttes sur la toile. L’humidité poisseuse des sacs de couchage. L’odeur âcre de nos jeunes corps, émergeant du sommeil. J’aimais ressentir cette petite crainte de l’orage, du mauvais temps, des projets contrariés, j’aimais ressentir une petite jubilation à l’idée d’être coincé sous les toiles, parfait alibi pour s’immerger dans les pages d’un livre, humide lui aussi, et de n’en sortir que pour écouter un peu le bruit de la pluie, vérifier qu’elle est toujours là, cette opportune gêneuse.

– ça diminue, non ?

– Oh, je ne sais pas. Tu crois ? De toute manière, là, tout est trempé, on ne peut pas sortir.

– tu crois que les parents sont réveillés ?

Je ne savais pas, mais j’imaginais que oui, mais était ce important, avions nous donc besoin de le savoir, qu’ils viennent nous ennuyer avec leurs questions, vous avez pu dormir malgré l’orage, les garçons ? Bon, pour le petit déjeuner on restera dans la grande tente du coup, habillez vous pour venir, vous voulez du lait chaud ? Papa est allé chercher du pain. Oui, oui, tant mieux, allez, laissez moi tranquille. Je le pensais mais je n’en disais mot, bien entendu. Trop discipliné.

Non, je n’en voulais pas de ce petit déjeuner, non, je ne voulais pas m’habiller non plus, je voulais juste rester avec mon livre et que cette journée passe ainsi, sans aucune raison valable de ne pas faire autre chose que rêvasser en écoutant le vent secouer la tente et la pluie, dégouliner.

Bref, l’éclair, le flash, le tonnerre, le roulement, la pluie, le martellement.

La télévision devant moi était allumée, pas débranchée, ni aucun de mes appareils électriques de toute manière. Je m’en fous complètement.

Non, ce qui m’inquiète, c’est que cette pluie soit un peu trop violente pour les mini-rosiers de la jardinière accrochée devant la fenêtre du salon, aux bourgeons de fleurs pourtant si prometteurs, ou pire encore pour mes 6 petits géraniums répartis dans les deux bacs de la chambre et repiqués pas plus tard qu’aujourd’hui.

M’inquiéter pour mes rosiers et mes géraniums. Ah ça, il est loin, le vieil enfant ou le jeune ado enfouis dans son sac de couchage, qui espérait ne pas être distrait de son livre par sa mère.

Il est loin, oui. En fait, avec mes géraniums, désormais ma mère, c’est moi.