Quelques pétales au soleil

Dimanche. Il fait frais. Le soleil brille. Le ciel, bleu clair, presque blanc, ne parvient pas à décider s’il est hivernal ou printanier. C’est un de ces dimanches tout à la fois triste et reposant. Il y a un vrai plaisir à être triste. Se complaire dans le dépit, c’est une satisfaction en soi. Comme ces moments de boulimie, lorsqu’on se sent un peu fiévreux, que l’on sait déjà que l’on va être grippé, que l’on va être mal, et où l’on compense à l’avance, où l’on se jette dans le mal comme un nageur d’un plongeoir trop haut. Un dessert que l’on sait indigeste mais dont le réconfort compense tout.

C’est un de ces dimanches où l’envie de ne voir personne signifie surtout l’envie de ne voir que soi même, sans concession, et même avec trop peu d’indulgence.

Au jardins de Reuilly, je m’installe sur une des tables prévues pour jouer aux échecs, ou au dames, ou un quelconque jeu de ce type. Le damier est directement intégré à la table en béton. La passerelle sautille au rythme des coureurs du dimanche qui la traversent. La matinée touche à sa fin, quelques familles reviennent du marché, les cabas chargés. J’ai choisi cette table seulement à demi ensoleillée pour les deux femmes asiatiques pratiquant je ne sais quelle activité, armées d’immenses éventails qui claquent furieusement en s’ouvrant. Du tai-chi, ou une variante. Les mouvements alternent rapidité sèche et une lenteur chargée de retenue et de force. Brusquement, les éventails brandis se déploient, clac, et se referment, clac. Une jambe se lève, un bras s’affaisse, le regard se tourne, on voit l’essoufflement distinctement. Les deux pratiquantes sont si différentes. Si elles partagent les cheveux d’un noir brillant de corbeau et une même corpulence, le visage de l’une est tout en rondeur, la forme de la bouche, démasquée, est un sourire, une invitation à la sympathie. L’autre semble découpée à la serpe. Lèvres pincées, regard ferme, elle porte une rigueur finalement rassurante. Je n’ose pas aller leur demander comment s’appelle leur sport, et le regrette sitôt que, les éventails repliées, elles disparaissent. Les claquements qui accompagnaient mes frappes sur le clavier me manquent dans l’instant. Ils et elles apportaient un exotisme qui manque tellement. Un voyage. Un encouragement, presque.

Je tourne la tête et constate que le couple, arrivé un peu après, s’est justement mis à jouer aux échecs sur une des tables. Je ne m’y attendais pas. Ils ne rentraient pas dans l’idée préconcue des joueurs d’échec du dimanche. Surtout elle, enfoncée dans son manteau en fausse fourrure léopard. Lui, par contre, je l’avais repéré, il est beau garçon et me plait assez. Chatain clair, barbe de trois jours, parisien de pied en cap. Baskets blanches, jean clair un peu court et pourtant légèrement ourlé, un tshirt blanc dépasse du pull léger, d’un gris presque blance, porté sous une doudoune sans manche marron clair, qui va très bien avec ses cheveux un peu bouclés. Je voudrais m’asseoir avec eux, rien que pour le regarder de plus près, sans rien dire. Elle, elle m’indiffère, mais je les trouve beaux, tous les deux. J’aime leur complicité de jeu, silencieuse, et je retrouve, dans cette froide lumière filtrée par les arbres, le plaisir d’imaginer leur vie, ce qui les a mené ici, un dimanche matin de printemps, à jouer sur cette table, dans l’union du jeu, de la réflexion. Adversaires d’un instant de jeu, amis et vraisemblablement plus pour le reste. Couple, ensemble. Je les envie, aussi.

Ils réveillent en moi, dans le vide béant laissé par une complicité que j’ai abandonné à force de ne plus supporter la voir s’effriter, les échos fades de la déception.

Un courant d’air frais éparpille un volute de fumée; ils se lèvent; rassemblent leur affaires; s’en vont.

Un trait de soleil transperce les branches chargées de fleurs déjà flétries et s’écrase sur ma table et mes propres affaires. Quelques pétales s’y écroulent, elles aussi.

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