Mes géraniums, mes petits rosiers, l’orage et moi

L’éclair illumina brièvement le salon. Un flash diffus, tempéré par les voilages masquant la fenêtre. Ah ces deux voilages. Déjà là quand j’ai pris l’appartement. Un peu déchirés par le chat qui habitait l’appartement. Un peu terne, aussi. Je voulais les changer, et puis, la routine, le quotidien, l’habitude les ont fait entrer dans le paysage, ils sont devenus un peu comme un souvenir, un marqueur de ceux qui étaient là avant moi, et j’aime cette idée que nous ne sommes tous que de passage. Comme cette fiole d’huile pimentée oubliée dans la cuisine, ce gant de toilette agrippé à un crochet dans la baignoire ou les bâtonnets de parfum d’ambiance, au dessus du coffret électrique, dans l’entrée. Les voilages je ne sais pas, mais ces bâtonnets, pour sûr qu’ils seront là quand, à mon tour, je partirai.

L’éclair, donc, illumina le salon. Je pensais à ces orages, enfant. Ces avertissement des parents, débranchez vos appareils électriques, les garçons, si la foudre tombe… Elle n’est jamais tombée, bien entendu. Après le flash vint le tonnerre, en roulement long et grave, qui masqua le léger mais constant martèlement de la pluie. Je repensais à ces moments de pluie, en camping, sous la tente. Je ne le disais pas, mais j’aimais presque ces matins de pluie en camping. Le bruit des gouttes sur la toile. L’humidité poisseuse des sacs de couchage. L’odeur âcre de nos jeunes corps, émergeant du sommeil. J’aimais ressentir cette petite crainte de l’orage, du mauvais temps, des projets contrariés, j’aimais ressentir une petite jubilation à l’idée d’être coincé sous les toiles, parfait alibi pour s’immerger dans les pages d’un livre, humide lui aussi, et de n’en sortir que pour écouter un peu le bruit de la pluie, vérifier qu’elle est toujours là, cette opportune gêneuse.

– ça diminue, non ?

– Oh, je ne sais pas. Tu crois ? De toute manière, là, tout est trempé, on ne peut pas sortir.

– tu crois que les parents sont réveillés ?

Je ne savais pas, mais j’imaginais que oui, mais était ce important, avions nous donc besoin de le savoir, qu’ils viennent nous ennuyer avec leurs questions, vous avez pu dormir malgré l’orage, les garçons ? Bon, pour le petit déjeuner on restera dans la grande tente du coup, habillez vous pour venir, vous voulez du lait chaud ? Papa est allé chercher du pain. Oui, oui, tant mieux, allez, laissez moi tranquille. Je le pensais mais je n’en disais mot, bien entendu. Trop discipliné.

Non, je n’en voulais pas de ce petit déjeuner, non, je ne voulais pas m’habiller non plus, je voulais juste rester avec mon livre et que cette journée passe ainsi, sans aucune raison valable de ne pas faire autre chose que rêvasser en écoutant le vent secouer la tente et la pluie, dégouliner.

Bref, l’éclair, le flash, le tonnerre, le roulement, la pluie, le martellement.

La télévision devant moi était allumée, pas débranchée, ni aucun de mes appareils électriques de toute manière. Je m’en fous complètement.

Non, ce qui m’inquiète, c’est que cette pluie soit un peu trop violente pour les mini-rosiers de la jardinière accrochée devant la fenêtre du salon, aux bourgeons de fleurs pourtant si prometteurs, ou pire encore pour mes 6 petits géraniums répartis dans les deux bacs de la chambre et repiqués pas plus tard qu’aujourd’hui.

M’inquiéter pour mes rosiers et mes géraniums. Ah ça, il est loin, le vieil enfant ou le jeune ado enfouis dans son sac de couchage, qui espérait ne pas être distrait de son livre par sa mère.

Il est loin, oui. En fait, avec mes géraniums, désormais ma mère, c’est moi.

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