J’aime ces moments d’apaisement, de calme intérieur. J’aime ce sentiment de se sentir vivant, purement et simplement. Nulle sensation forte, pas d’émotion en sprint, pas de victoire physique, ni même intellectuelle, non, juste un sentiment d’apaisement.
Je sais ce que cela me rappelle. Je trouve dans ces instants un écho aux dimanches matin où, ignorant frères, parents et monde réel, seul dans ma chambre et seulement absorbé par un roman de Jean Diwo ou de Bernard Clavel, transporté dans un univers et observateur d’une épopée ou d’une simple existence, je trouvais l’apaisement à mes propres questions. J’oubliais le temps, et je l’oublie aujourd’hui, seulement tranquille, seulement porté par un quotidien réconfortant. Notre société sous-évalue le quotidien et le réconfort qu’on peut y trouver. Raflés par la nécessité d’être heureux et le manifester à gorge déployée et alcoolisée dans un bar un samedi soir, capturés par le besoin d’un incroyable brunch sur un roof-top à instagramer, saisis par l’impérieuse injonction que le bonheur, c’est être à Charles-de-Gaulle 2 terminal 2F en partance pour le Machu Pichu ou Bangkok.
Mon bonheur, c’est cette sérénité d’un dimanche matin où, éteignant réseaux et chaines sociales, je déambule dans mon salon en rangeant lentement les reliefs du diner de la veille, abandonnés par lâcheté un peu partout (et pourtant, ce n’est pas grand). Pas encore totalement sorti du livre entamé au réveil – au bonheur des ogres, Daniel Pennac -, la musique tirée d’une playlist spotify aléatoire -à cet instant, Elton John-, un peu forte, tient en laisse les émotions et paradoxalement les laisse glisser dans les airs comme les hirondelles sur une brise de printemps. Je sens le bois du parquet sous mes pieds, j’ai toujours aimé cette sensation d’être nu-pieds sur un parquet, en fermant un peu les yeux je me croirais là-bas, sur le parquet neuf et doux de la maison vieille, les hirondelles seraient sur les fils électriques, le soleil inonderait le salon, je serai dans cet écrin au bonheur à deux que j’avais tant projeté ; emporté par cette sérénité, j’improvise quelques mouvements de danse, magnifiques et gracieux dans ma tête, désordonnés et pathétiques dans les yeux du voisin qui peut être, observe, je murmure quelques paroles qui dans ma tête devraient légitimement me propulser au firmament de la chanson, qui en réalité sont un yaourt malheureux et discordant car je ne sais pas plus chanter que danser et que je suis trop fainéant pour apprendre. Ici ou là-bas, il ne manque qu’un garçon qui, amusé et attendri par cette valse solitaire et ratée mais finalement plus humaine que le surbooking d’un vol Easyjet, s’approcherait silencieusement, me frôlerait l’épaule du bout des doigts, rejoindrait cette doucereuse pantomime, me laisserait m’évanouir entre ses bras, m’enfouir au creux de son cou, m’enivrer de son parfum. Là, au sommet de son épaule, je m’abandonnerai dans la sérénité qui chez moi confine toujours à une forme de tristesse, ce bonheur d’être triste d’Hugo, au sommet de son épaule j’y déposerais une larme légère et libératrice.
Aujourd’hui, je la laissai couler du coin de l’œil à la pommette, à la joue, puis elle s’éclata bêtement sur le parquet.