Clic-clac

Clic-clac

Clic-clac

Clac-clac

Clic-clac

Derrière moi, la vieille horloge mécanique compte irrégulièrement les secondes.

Clac-clac, clic-clac.

De la droite, au travers des carreaux qui mériteraient d’être lavés, vient le vacarme un peu aigu et insistant d’un taille-haie. Des employés municipaux entretiennent des lierres qui débordent sur le trottoir. Il ne fait pas vraiment beau. Pas vraiment moche non plus. Pas vraiment froid non plus. Ni chaud. Il fait terne. Le calme avant le désert. Ça devrait être une journée de clôture d’un hiver trop doux. Je ne devrais pas être dans mon salon. Je ne suis pas sorti de chez moi. Pas de raison de le faire. Pas recommandé de le faire. Nous sommes le 17 mars 2020, j’ai 36 ans, je ne suis plus si jeune mais pas encore vieux. Depuis le dernier billet cloué sur rouge-cerise.net comme un clou sur un cercueil, j’ai travaillé, acheté, consommé, aimé, emménagé, évolué, déménagé, rénové, fabriqué, épousé. J’ai eu peur parfois, j’ai ri souvent, j’ai regretté des fois, j’ai ressassé trop, j’ai craint. Je me suis trahi et j’ai été trahi. J’ai été quitté et je divorce. Quelques années à toute allure. J’ai quelques regrets, mais peu de remords.  

Nous sommes le 17 mars 2020, j’ai 36 ans, je réapprends à être serein et tout semble l’être, pourtant je ne devrais pas être là, dans ce salon, mon salon, à travailler sans y parvenir totalement, à écouter ce clic-clac un peu malade mais courageux. Derrière les carreaux sales, flottant comme le bruit de la ville, rode la maladie qui va soudainement figer nos vies. Elle et son nom technique, son nom laid comme un formulaire administratif, qui sonne comme le hoquètement d’un malade vomissant ses entrailles, va faire tomber sur nous une nappe de brouillard, pénible, molle et insistante, va nous éloigner les uns des autres en dépit de nos efforts numériques de conserver des liens. Seul dans un salon, mon salon, à travailler sans y parvenir totalement, enveloppé du cliquetis de cette horloge qui compte maladroitement les secondes perdues, je repenserais au temps d’avant, occasion imposée de sombrer dans la mélancolie, faire le tri des souvenirs, y retrouver les éclatantes fleurs passées, séchées comme dans un herbier et qui renferment les graines des bonheurs d’après. Ce syndrome respiratoire qui tue sera peut-être une respiration utile. C’est en le vivant au jour le jour qu’on le découvrira.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *