Les boulevards et les caniveaux

Décidé, résolu, j’avançais en enjambant les boulevards comme un enfant un caniveau. Sans trop fait attention, sans pensée, même, sauf peut être celle d’accomplir l’objectif de la journée.

La semaine s’achevait, une semaine de plein retour à la vie d’avant, puisqu’il est entendu qu’il y a un monde d’avant et un autre d’après.

Soigneusement, j’en avais bourré l’agenda jusqu’à l’engorgement, ne me laissant pas une seule soirée de libre. L’unique restée disponible me sembla d’ailleurs si insupportable que je renouais avec la salle de sport, bouclant ainsi le retour à la normalité des derniers mois. Décidé, résolu, mais à quoi ? Il est infiniment pesant de ne pas le savoir. Enchaîner les moments comme les perles sur un bracelet, ou les trophées sur une étagère sans parvenir à en distinguer l’utilité, est tellement consternant que même la tristesse de le constater est fade. L’utilité. Le voilà, ce mot et cette valeur problématique. Se sentir bien ? Mais pour combien de temps ? Faire partie d’un groupe, d’une communauté ? Mais pour quel aboutissement ? Je n’ai eu d’autre choix que de m’interroger sur la logique de ma vie passée, et j’ai probablement eu tellement peur d’effleurer la réponse que j’ai interrompu la réflexion. Si le vrai savoir est de connaître ses incompétences, sans doute suis-je un plus informé qu’il y a un an ou deux, mais en suis je plus heureux ? L’ignorance est un lit confortable.

Car le soir, lorsque vient le temps de tirer le bilan de la journée, la tête sur l’oreiller, la lancinante angoisse cachée entre le draps ressurgit comme le monstre du placard de l’enfant : celle de l’abandon. Craindre une vie et une mort solitaire, sans personne à qui penser, en n’ayant pour seule source de préoccupation que soi même, lorsqu’on est fondamentalement solitaire parce que l’on n’a pas eu d’autre choix que d’apprendre à l’être, c’est finalement ironique. L’avoir comblé -la crainte et la vie- en répétant la pantomime de la vie en société dont même les catharsis sont soigneusement organisées prouve bien, d’ailleurs, tout à l’a fois la triste inutilité de l’ensemble, et quelque part la beauté qui réside dans cette organisation de l’inutile.

Décidé, résolu, ayant enjambé les caniveaux des boulevards, j’entrais dans cette boutique, j’écoutais le vendeur conseiller une autre cliente accompagnée de son conjoint, je constatais qu’après l’avoir accompagnée à la caisse il ne revint pas, oublieux de ma présence pourtant évidente. Je fis mon choix de ce casque d’escalade sans regarder le prix parce qu’après tout, qu’importe. Bien poliment cependant, je remerciais à la caisse le vendeur inattentif dont le physique était une forme d’excuse, quittait le magasin, propriétaire d’un casque, de son carton d’emballage et de son sachet plastique à usage unique, quoi qu’en prétende les inscriptions hypocritement apposées dessus.

Grimper à un mur ou une falaise, ça ne sert à rien sauf peut être se donner un objectif dont l’atteinte reste assez accessible pour ne pas être perturbé par un hasard malencontreux, mais autant le faire en se protégeant un peu. C’est probablement ça, vivre.
Il faudrait qu’on apprenne, À vivre avec ça…

Je suis fan de ce nouveau titre.

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