Nation

Je craignais que cette place, rénovée, ne rencontre pas le même succès que République ou Bastille. Le format en rond point, maintenu, laisse l’accès central compliqué.

Alors à l’issue du premier apéro en terrasse post confinement, je ne suis pas rentré, j’ai marché, un peu, jusqu’à la place.

J’ai toujours un peu aimé cette place, avec son accueil grandiose des deux colonnes de Claude-Nicolas Ledoux (attention, vortex Wikipedia). C’est un peu fantastique et mégalo, et tellement Paris.

Une fois sur place, force est de constater que la place est vivante, en un agréable camaïeu social.

Foutah et plaids étalées, des couples et groupes de tout âges profitent des derniers rayons de soleil. Deux jeunes filles à vélo tournent autour de la place en se coursant. Devant moi, deux familles mélangées et un vélo cargo délicieusement bobo se prélassent, un tout petit sur les genoux, un verre de rosé à la main. Derrière, un groupe de 5 femmes, que j’imagine amies, refont le monde ou, plus simplement, critiquent leur travail ennuyeux ou le mec de l’une d’elle qui devient pénible. Surement, elle ne sait comment le lui dire. Oui bien c’est déjà trop tard, et elle n’ose lui dire que c’est terminé. Pourtant il va falloir, lui dit son amie. Déjà qu’elle l’a supporté pendant tout le confinement, rétorque une autre. À ma gauche, le son de musique africaine, émise par un téléphone nasillard, masque un peu une conversation en français argotique du 21eme siècle où, visiblement, il est question d’un chef qui n’a pas tenu une promesse financière imprudemment donnée avant le confinement. Une centaine d’euro seraient en jeu. Ce n’est pas rien surtout que rien, c’est déjà quelque chose. Une notification jaune interrompt mon examen et brise mon imagination : Le jeune type blond croisé à l’entrée de la place et qui sortait du métro, lui aussi il m’a vu.

Assis sur le socle du triomphe de la république (encore un vortex Wikipedia!), deux garçons, chacun séparés par une bouteille d’eau. De la Cristaline, même de loin on reconnait le bouchon primé au Salon International de l’emballage et de l’intralogistique dans la catégorie « Bénéfice sociétal de l’emballage » (hé oui…). J’aurai pu imaginer facilement deux canettes de bières, mais non, c’est de l’eau, simplement. Ils discutent, sans grand enthousiasme, et je n’arrive pas à imaginer de quoi ils parlent. Est ce heureux, est ce malheureux ? Même ça, je ne parviens pas à le supputer. C’est plus simple avec les deux assis sur la pelouse, un peu à gauche, proche d’un arbre encore tout neuf. À l’évidence, la conversation n’est pas facile, il y a une colère. Affaire de cœur ? D’amitié ? J’imagine la critique d’un troisième, qui a déçu et dont le statut d’ami s’effrite. L’un d’eux, nerveusement, allume une cigarette. Une nouvelle notification : le blondinet fait assaut.

Plus loin, un enfant se met à brailler, alors que les deux gamines bouclent leur troisième tour. Celle en tête s’essouffle mais ne compte pas renoncer. Elle jette des coups d’œil anxieux derrière elle. L’autre redouble d’efforts. Devant moi, un jeune homme en bermuda bleu passe, oreillettes vissées aux oreille, le regard absent de celui qui a l’esprit ailleurs. Il va dans la direction de mon retour. Je décide de le suivre, et j’abandonne ainsi le jeune papa assez joli, juste devant, dont le tatouage au mollet me fascine. Le blondinet, lui, affirme être fasciné par mes yeux.

Le soleil est couché, il est 21h39, les brumes du rosé dégusté juste avant s’estompent, il est temps de rentrer.

Une femme masquée décide d’en faire autant, empoigne une petite fille en tutu et la pose dans une poussette. Elle se met à chouiner. Elle n’avait, à l’évidence, par envie de sashay away.

One Reply to “Nation”

  1. C’est un peu triste l’histoire des bâtiments de ce Claude-Nicolas, presque toutes ses réalisations ont été détruites dis-donc !! Le groupe sculpté du centre de la Nation est un des plus beaux de Paris, j’en suis vraiment fan. 🙂 Il faudrait que je retourne faire des photos au coucher du soleil.

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