La pièce était blanche. Grande. Neutre, presque médicale. Quelques œuvres au mur. Un peu modernes, un peu dépouillées elles aussi. Vaguement irréelles. Le bureau, immense. 4 sièges, devant. Assez confortables pour ne pas s’en plaindre. Pas assez pour vouloir y rester. Chacun, masqués, silencieux, alignés, rendaient l’atmosphère plus chirurgicale encore. Funèbre, même. Je m’étais installé le premier. Second siège en partant de la droite face au bureau. Avocat, moi, avocat, lui.
J’ai écouté, d’une oreille distraite. A force de craindre un moment, on s’y prépare tellement qu’on ne le vit même plus. J’ai attendu que ça passe, reclus profondément au fond de moi. J’étais surpris de n’y trouver rien qu’une indifférence lasse.
On s’est à peine adressés la parole, à peine regardés. On a écouté le notaire. Il n’y avait même pas à dire oui, il y avait juste à acquiescer une fois l’énoncé du bilan juridique et patrimonial de presque 8 ans de vie commune achevé, et à signer.
J’étais ému de le voir. J’avais un peu envie de pleurer, mais sans savoir pourquoi vraiment. Tristesse d’en être là ? Pleurer sur moi, sur nous ? Pleurer de rage, de jalousie ? Peut-être même pleurer de vouloir pleurer et constater que finalement non, constater combien la distance s’est créée, le vide s’est gonflé. Pleurer face au vide. Pleurer de le regarder furtivement en me disant “il aurait pu être mon époux, encore. Et comment le regarderais je alors ? Serais-je encore amoureux, admiratif de lui sans condition ? Verrais-je ses petits défauts, qui m’amusaient ? Est-ce que j’ignorerais encore plus ou moins consciemment ses failles ? Serions nous devant un notaire pour un nouveau pas commun, serais je attentif pour le protéger et m’assurer qu’il vivait ce moment avec le même sentiment d’engagement et d’accomplissement que moi ?”
Je ne sais pas du tout. Je n’avais pas la réponse. Le monologue se poursuivait, mon indifférence s’ancrait. Que pouvait il bien ressentir ? Du soulagement d’en finir ? De pouvoir achever notre union et s’engager plus intensément avec celui qui m’a remplacé ? Qui m’a rayé, oblitéré, tué ? À cette idée, une pensée de rage et de haine froide éclata en moi. Le désert, vide et glacé, devint instantanément brûlant, furieux, méchant. La douleur, tenace, pénible, irradiante, enfonçait ses griffes odieuses et labourait rageusement le nouveau monde personnel et serein que je m’efforce d’ordonner en moi. Se quitter, à la rigueur. Etre remplacé, en revanche, non. Pas encore. Trop dur.
Et puis, il a parlé. Le vide a implosé d’un coup sur la rage, mon cœur eut un raté. Je sais et réalise chaque fois combien sa diction assez reconnaissable, son très léger accent de Toulouse, ont participé à la séduction, le premier jour, et les 2500 suivants. Finalement, l’amour se fixe sur pas grand-chose, et se déploie ensuite sur tellement. Il enveloppe. Adouci. Embelli.
Furtivement, j’ai jeté un coup d’œil. J’ai pensé que si nous avions été encore ensemble, je me serai amusé de ses nouveaux cheveux blanc, je l’aurai un peu charrié, il aurait grogné, j’aurai ri, et je l’aurai embrassé, parce que ça aussi m’aurait séduit. J’aurai pensé au temps qui passe et que nous passions ensemble et l’un pour l’autre.
Là, j’ai pensé qu’encore un peu de temps et il ne pourra plus nier la quarantaine. C’était un peu cruel. Je m’en voulais un peu, de cette cruauté qui dénotait une méchanceté revancharde, et encore plus une certaine distance et indifférence. Peut être même, un peu de lucidité.
L’idée me vint qu’il était séduisant, encore, mais qu’il allait vieillir. Je pensais que par contre, je ne m’en rendrais plus compte que de loin en loin, et encore, peut-être. Et que moi aussi, je vieillissais. La cruauté a ceci de juste qu’elle est toujours à double tranchant.
J’ai repensé à lui et à moi, 9 ans avant. J’ai repensé à cette aventure menée tambour battant. Il battait la mesure, et j’ai beaucoup suivi. J’admirais cette capacité d’entrainement. Aujourd’hui je constate que j’ai trop suivi le son du tambour. Ne l’aurais je pas fait, nous serions allés moins loin ensemble, peut-être. Ou au contraire, le battement n’aurait pas cessé. Nul ne le saura jamais. Les dégâts auraient été moindres, peut-être. La lucidité, aussi, certainement.
Il était caché sous son masque, le mien m’étouffait. Le monologue, enfin, s’est achevé. J’ai signé. Une signature gribouillée, ratée, sèche, vilaine. Jetée par dépit, bien loin de celle, appliquée, soignée, ronde, optimiste et engagée, offerte le 14 septembre 2013.
On s’est levé, je l’ai raccompagné. On a échangé quelques mots factuels. Les masques, le lieu, les avocats, de toute manière, interdisaient toute effusion, toute confession et même, toute émotion. En fait, il n’y avait rien à dire. Il n’y avait pas besoin d’avoir la curiosité malsaine de savoir sa vie nouvelle. Il n’y avait pas besoin non plus d’étaler impudiquement la version brillante de la mienne. Il n’y avait que la lassitude. Je l’ai regardé, je ne voyais que ses yeux. Au fond de moi je sentais, teinté d’un peu d’amertume, de rancœur et d’un soupçon de mépris, simplement une forme de respect.
Ce n’était pas si mal, et je ne pouvais pas mieux.
Ce n’était que l’avant dernière étape.
Ce n’est que bien plus tard, rentré, seul et chez moi, que j’ai laissé échapper quelques larmes sur ce passé révolu et cet avenir que je ne distingue pas.