Promenade

« Je soussigné, certifie que mon déplacement est lié au motif suivant, autorisé par l’article 1er du décret du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19 : déplacements brefs, à proximité du domicile, liés à l’activité physique individuelle des personnes, à l’exclusion de toute pratique sportive collective, et aux besoins des animaux de compagnie. »

Après 3 jours sans mettre un pied hors de mon appartement, je suis sorti aujourd’hui, après la journée de télétravail.

Paris est fascinant. Silencieux, vide. J’y trouve une forme de sérénité ou, vues les circonstances, de fatalisme. Le monde s’est suspendu, Paris patiente. Les quelques personnes croisées, silencieuses, soucieuses, veillent à s’éloigner un peu plus largement de moi lorsque nos chemins se croisent. On se jauge, de loin, on repère celle qui a un mouchoir à la main, synonyme peut être de virus, on remarque celui qui se balade avec un enfant, désormais reconnu comme bombe virale asymptomatique potentielle. Les regards échangés sont emplis de messages, qui passent en une fraction de seconde, sans une parole. « Je sais, tu sais. Oui, nous nous écartons l’un de l’autre, je ne sais pas comment tu vas, je ne sais pas d’où tu viens, rien d’offensant, rien de personnel, n’est ce pas étrange ce climat, bon courage à vous, pas facile n’est ce pas, eh ! oui, on subit, on a peur un peu, bonne chance, oui, oui, au revoir, adieu… ». Un regard, deux paires d’yeux qui se rencontrent, et tout ça passe en un éclair, on hoche légèrement la tête avec un minuscule sourire crispé, navré et navrant, le genre de sourire vaguement compatissant qu’on donne à une obscure connaissance reconnue de loin à un enterrement.

Paris est beau, pourtant. Le ciel est d’un bleu immaculé, pas un nuage, pas une trace d’avion. Les routes sont vierges, pas un véhicule, seulement des passants qui s’approprient l’espace libéré de la frénésie habituelle. L’air est clair, plus pur que jamais, ne vibrant que du glissement des ailes des oiseaux, au point qu’on aimerait imaginer des jolis passereaux des campagnes que notre société malade extermine, victimes collatérale d’un monde qu’on a oublié d’aimer, ces si jolies hirondelles, rouges gorges et autres mésanges au ventre jaune ou chardonneret à tête rouge. Mais non, la réalité est là, ce ne sont que des pigeons, gris et souvent mal en point. Paris reste Paris. La réalité éclate l’imagination lorsque, sitôt rentré à l’appartement, on repense au digicode tapoté, aux 3 portes touchées, à la rampe d’escalier effleurée, à la rambarde de passerelle machinalement effleurée. Alors vite, les mains, subitement devenues de dangereuses ennemies ramenées à hauteur de torse, je me précipite à la cuisine, poussant la porte du coude, jusqu’à l’évier et son salvateur savon de Marseille.

3 Replies to “Promenade”

  1. « le genre de sourire vaguement compatissant qu’on donne à une obscure connaissance reconnue de loin à un enterrement » : c’est exactement ça.

  2. Tellement ça et pas qu’à Paris.
    “un minuscule sourire crispé, navré et navrant, le genre de sourire vaguement compatissant qu’on donne à une obscure connaissance reconnue de loin à un enterrement.”

  3. C’est vrai que ça m’a surpris, depuis le confinement les gens ne se saluent plus/beaucoup moins, ne se sourient plus (si si ça arrivait couramment). Il y a vraiment cette peur comme dans le film “Contagion”, alors qu’on est loin d’être dans le virus tueur en 3 jours.

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