Le soleil du premier octobre s’appuyait sur la falaise. Comme un ultime support avant de se laisser glisser derrière la montagne. Des cris brefs et nets rebondissaient entre les rochers. Des cliquetis métalliques leurs répondaient. Nous étions le premier octobre, c’était un beau premier octobre, c’était la fin d’après-midi, et c’était une belle fin d’après midi.
Dix, peut être quinze hommes et femmes s’affairaient sur la falaise rayée de cordes tendues. Des gestes précis et déterminés répondaient à ceux, hésitants et peureux, qui s’exécutaient au son d’indications brèves. On sentait presque, dans le fond de l’air un peu brumeux, la concentration s’amalgamer à l’excitation, laquelle se gorgeait de la chaleur paresseuse irradiée de la roche. Ce weekend prolongé avait un air de colonie de vacances pour adultes. La rusticité n’était pas seulement contrainte, elle était recherchée, comme un exutoire à des vies trop organisées, trop impeccables. En vérité ça n’était peut être pas le sentiment de tous. C’était le mien, c’est ce que j’étais venu chercher, et je l’avais trouvé au double de mes espoirs. Mais nous en étions à trois jours tous ensemble. Je ressentais mon besoin de solitude. Alors, abandonnant discrètement le groupe, j’avais gravi silencieusement les blocs de roches empilés à droite de la falaise. Entre les pierres, un matelas d’aiguilles absorbait le bruit de mes pas et laissait s’enfoncer mollement les grosses chaussures de montagne. Quelques sauterelles voltigeaient en crissant. L’été, pourtant presque mourant, conservait son odeur de pin. Au fur et à mesure de mon ascension, le bruit des grimpeurs s’étouffait.
Alors une fois seul, seul avec le ronflement de la rivière au fond de la vallée, je me suis arrêté. Et seulement, là, j’ai savouré.
Le paysage avait ce côté rassurant des environnements exigeants, de ceux qui imposent leur rigueur et offrent en retour leur pureté et la satisfaction, non pas de les vaincre, mais tout juste de les apprivoiser, d’en obtenir l’assentiment à notre présence. Ces rocs striés de lichens presque jaune et de mousse rêche vert sombre. Ces conifères un peu squelettiques. En haut, ces langues de glaces sur les faces nord. Ces oiseaux de proie, ombres noires glissants sur le relief tourmenté. Une brume faiblarde s’écoulait d’une trouée dans le massif, le soleil y étirait ses derniers rayons, traits nets et francs dans ce panorama chaotique, dards de couleur chaude pourtant désormais trop froids. Seule la falaise et son camaïeu gris sombre fournissait encore une chaleur chiche. L’humidité du fond de vallée allait doucement remonter. Assis, les pieds dans le vide, je sentais la roche restituer cette énergie empruntée. Comme celle d’un poêle à l’agonie dans un salon désert au coeur d’une nuit d’hiver, ça ne durerait pas, et je la savourais d’autant mieux. Nous étions le premier octobre, c’était une belle fin de journée. Abandonnant presque à contrecoeur le repos de la solitude, j’ai lentement rejoint mes camarades. Les cris secs sont doucement revenus. Les conseils de l’instructeur. Le cliquetis des mousquetons. Le frottement des cordes.
C’était un weekend à la montagne, c’était des rencontres, c’était bien, simplement