Cette boule au ventre, depuis les quais de Saône où j’ai jeté les premiers mots de ce billet, au parc Montsouris où je les ai complétés, je l’aurais reconnue entre toutes : elle me connait bien et c’est réciproque. Le sentiment de vide, d’absence, de vanité qui vous saisit lentement et monte du creux de l’estomac jusqu’à embrumer les yeux. L’eau claire, le vent légèrement frais, le soleil pourtant voilé mais déjà chaud, n’y changent rien. Dans ces instants, rien ne peut trouver grâce, rien ne peut compenser. Tout est faux. Ce qui sonne juste n’est là que par contraste, comme le clapotis bucolique d’un ruisseau serpentant au creux d’un pré piqueté de la symphonie multicolore des fleurs des champs, mais chutant quand même en pluie glaciale sur le visage gris et les yeux perdus d’un noyé coincé entre deux rochers. Cette boule, cette tristesse, elle vient toujours après les moments de bonheur, lorsqu’arrive le temps du bilan et lorsque, seul, je regarde le parcours des amis que j’ai quitté et qu’immanquablement, je le compare au mien. Je peine à l’admettre, encore plus à l’accepter : si la raison en a terminé avec ce divorce et ces 8 ans de vie, les émotions elles ne l’entendent pas ainsi. Oh, je ne parle pas d’amour, il n’y en a plus, mais de ce sentiment persistant d’erreur, d’incompréhension, ce navrant constat d’être sorti brutalement d’une trajectoire qui au fond, me rassurait autant qu’elle me plaisait. Voir les autres la poursuivre de leur coté, même en brinqueballant, constater le temps perdu du mien et peiner à me convaincre que j’ai peut être aussi retrouvé la vie que je visais, adolescent. En tout cas, celle à laquelle je m’étais préparé.
Que le temps a passé, depuis. Les rêves, et les espoirs ont été remplacés, perdus, retrouvés, égarés de nouveau. Cette douce mélancolie que l’on nomme l’expérience a remplacé la naïveté joyeuse que l’on appelle l’enthousiasme de la jeunesse.
J’y repense, sur le parterre froid du parc Montsouris, en lisant ces mots de Sagan, spécialiste incontestable des états d’âme, dans le commentaire de son Orage immobile, que d’ailleurs je n’ai pas lu.
J’ai toujours pensé qu’il y avait des familles sur la terre et que, en plus de ceux qui partagent votre sang et votre enfance, il a aussi les familles du hasard, ceux que l’on reconnait confusément comme étant son parent, son pair, son ami, son amant, comme ayant été injustement séparé de vous pendant des siècles que vous avez peut être partagés sans vous connaitre. Ce n’est pas ce qu’on appelle la famille de l’esprit ni celle des corps, c’est une parenté faite de silences, de regards, de gestes, de rires et de colères retenus, ceux qui se choquent ou s’amusent des mêmes choses que vous. Contrairement à ce qui se dit, ce n’est pas pendant la jeunesse qu’on les rencontre le plus souvent mais plus tard, quand l’ambition de plaire est remplacée par l’ambition de partager. Quand l’on ne cherche pas une éclatante victoire sur l’autre mais plutôt une paix honorable, quand on ne cherche surtout pas à découvrir la nature de quelqu’un, ayant compris qu’on ne peut connaitre “vraiment” personne. Ce ne sont pas des propos pessimistes que je tiens là, tout au contraire.
Je repose, retourné et ouvert, ce Derrière l’épaule. Ce paragraphe, dont je connaissais déjà un extrait, me bouleverse. Pour tout dire, en lisant ce livre, je le cherchais, pour en trouver le contexte, le moment, l’exhaustivité.
Je ne sais pas si à un moment de la vie, l’espoir de plaire est remplacé par celui de partager. Peut être. Ce qui est certain, c’est que si à certains moments on recherche la solitude pour être certain de ne pas être déçu par les autres, il y en a d’autres où la recherche du partage est surtout motivée par l’envie de ne pas être seul. Car il n’y a parfois pas plus mauvaise compagnie que soi même. S’entourer vise d’abord à éviter cette encombrante présence qui, au creux de l’oreille, vous susurre combien votre vie n’est qu’une succession d’échecs, de faiblesses, de veuleries, de jalousies, de lâchetés complaisamment maquillés par leurs contraires, par tout un tas de petites qualités un peu hypocrites. Chacun y trouve son compte, dans le fond : derrière les façades aimables et bien élevées, les cœurs solitaires et les âmes égoïstes s’épaulent et s’écoutent le temps d’un instant, avant de repartir chacun de leur coté et avec la satisfaction d’avoir, au moins pour ce moment, trompé le tête à tête avec leur médiocrité. Sauf, peut être, avec ces familles du hasard, où l’on se comprend, et où l’on sait pourquoi on est ensemble, et qu’on l’accepte bien volontiers. Une paix honorable.
Je regarde autour de moi. Il y a cet homme, à quelques mètres, seul. Jean noir, doudoune noire à capuche. Sneakers aux pieds. Entre le pantalon et la doudoune, dépasse un morceau de tshirt bleu marine. Les cheveux sont soigneusement coupés et coiffés. Comme moi, vissé aux oreilles, des écouteurs, à la main, une clope qui se consume toute seule. Comme moi, assis. Contrairement à moi, un petit pack de bière Heineken, à son coté, dispute à l’herbe humide la palme du vert le plus éclatant. Le regard un peu lointain, à quoi peut il bien penser. Pourquoi est il là, quelle est sa solitude, son trajet, son projet de la fin de journée ? Ses familles à lui, de sang, de l’esprit ou bien celle de silence et de gestes partagés, où sont elles ? Il regarde, comme moi, les autres. Par exemple ce groupe de garçon, 50 mètres plus loin. Tous jeunes. Tous beaux. 25 ans, maximum. En plein dans l’âge de l’envie de plaire, plaire à tout prix pour se rassurer. Etalés sur un vaste drap, ils grignotent, alibi parfait pour s’épargner les masques qui, en ce début de printemps 2021, ne manquent plus, hélas. Les vestes trahissent le petit vent trop froid pour vraiment croire à la victoire du printemps. Qu’ils sont beaux ! Surtout celui, face à moi, pull léger écru à col roulé. Il me donne envie d’un col roulé, moi aussi, en laine douce. Qui sont ils, quel est ce groupe d’ami ? Pourquoi seulement des garçons? Famille de l’esprit ? Leur beauté me donne envie de croire qu’ils sont de la partie, forcément. Encore un peu plus loin, un autre petit groupe où 3 garçons s’échangent des passes de volley. L’exercice les réchauffe, ils en sont, eux, au tshirt. Je ne peux pas distinguer leurs traits, je suis trop loin. J’essaie d’imaginer comment ils sont arrivés là, au parc Montsouris avec leur balle de volley. Jouent ils en club ensemble ? Sont ils amis et ces échanges sportifs ne sont qu’une contenance du jour, une idée un peu farfelue, isolée et qui restera orpheline ? Un peu plus à droite, une mère emmitouflée court après un enfant qui s’échappe. Ce petit gambade maladroitement, chaque pas est le rattrapage du déséquilibre du précédent, et pourtant il goute la liberté acquise par l’apprentissage récent de la marche. Cette marche, imprécise, hasardeuse et finalement mignonne, semble l’allégorie de la vie. En le voyant, en voyant ces gens peut être heureux, peut être trompant l’angoissant tête à tête avec eux même, en sentant ce vent définitivement trop frais pour le ciel si clair et si bleu, je n’arrive pas à décider si je suis heureux, ou pas.
La maman a récupéré le petit qui se débat en rigolant. Il est si content, de son début d’autonomie, de ses premiers pas dans la vie. S’il savait, s’il savait !
Il ne faut pas laisser l’amertume et la colère t’envahir… Il faut laisser du temps pour que les cicatrices guérissent… Même s’il y aura toujours au fond de toi, une forme d’incompréhension, un goût d’inachevé… Pour ma part, il m’a fallu 5 ans pour être apaisé, trouver qqn pour être en couple m’apaiser, me rassurer pour ne pas me retrouver seul face à ma solitude et face au bonheur de mon ex qui m’était exposé… Une fuite en avant…. Et j’ai trouvé La personne, maintenant ça fait 13 ans qu’on est ensemble et je ne regrette rien de ce que j’ai vécu….
Courage