– Et ça ? Mais… C’est un cadeau aussi ? C’est gros gros ! Attend, c’est pour qui ?
L’ainée repousse un petit peu sa sœur. Les deux s’affairent autour du gros carton. Leurs paquets, d’un seul coup, ne les intéressent pas tant que ça.
– oh, là, c’est écrit ! C’est pour M*
Il y a un peu de déception, dans l’intonation. De l’excitation, aussi
Le petit, lui, ne comprends pas totalement que c’est pour lui. Il tourne autour, arrache un peu du papier. Rien que ça, il y prend déjà du plaisir. Le bruit du papier qui se froisse, le sentiment d’agir sur quelque chose, c’est déjà sa satisfaction. Ce sont ses sœurs qui sont les plus excitées. Elles montrent où arracher, cherchent à faire apparaitre, sur le carton, la photo du contenu.
Celui-ci, enfin, se dévoile. Le petit babille, montre la photo. D’un coup, il comprend. En le regardant, on pourrait presque deviner le cheminement des pensées dans sa petite tête. Les associations d’idées. La gros carton, la photo, le contenu.
D’un coup, il faut ouvrir et vite, on ne peut plus souffrir l’attente. Les sœurs, tout aussi fascinées, recherchent les angles d’attaque du carton.Là, il faut ouvrir là !
– Papa, il y a du scotch, il faut un ciseau, mamie, il faut un ciseau !
Les petits doigts s’agitent, tentent de se glisser dans les ouverture. L’initiative est prise de déplacer le gros paquet, l’éloigner du sapin qui clignote, imperturbable à cette agitation.
Je regarde cette agitation, comme à distance. Ce petit, qui ne parle pas vraiment encore, c’est son cheminement qui m’émeut. J’essaie d’imaginer naitre ses idées, les chemins tortueux de sa pensée, imprécise et fugace. Il a compris qu’il y avait un tracteur à pédale dans le gros carton. Il a compris que c’était à lui. A-t-il compris aussi qu’il faudra défendre sa propriété face à ses sœurs, déjà envieuses ? Ou bien s’en fiche t il ?
De sa petite main, il veut saisir les morceaux encore à assembler. Il tente de grimper sur l’engin qui n’est encore qu’un tas de gros morceaux de plastique. Il y a de l’innocence, dans l’enfance. Innocent du pourquoi, innocent du comment.
Les adultes ont échafaudé des théories, mélangé des souvenirs, projeté des ambitions même, pour aboutir à ce cadeau. Le petit, lui, le prend en toute innocence et pourtant, qui sait ce qu’il provoquera chez lui ? Quelles connections vont se faire dans son petit esprit, et qui vont guider sa vie, à propos de cet objet, de ce moment ? Est-ce qu’il cherchera dans sa mémoire des fragments de ce moment ou de cet objet, 30 ans plus tard, assis dans le fauteuil d’un psychiatre ? Lorsqu’il cherchera un sens là où il n’y en a pas ?
Chez les parents, il y a bien le sentiment de se créer une immortalité en transmettant un flambeau à un petit, bien sûr, mais dans le fond ce que les adultes aiment chez les enfants, n’est ce pas simplement le souvenir de leur propre innocence, lorsqu’il n’y avait pas de limite, à rien, pas même à l’existence ni de soi, ni des autres ? Lorsqu’il n’y avait que des certitudes naïves et simples, à commencer par celle de la présence des parents, toujours là pour pourvoir à tout ?
Voir un petit ainsi s’épanouir, s’agiter, s’émouvoir, c’est d’abord se replonger par procuration dans cette époque bénie où la solitude n’existait pas.