La Maison, Côte d’Or
8 heures s’affichent sur le téléphone retrouvé à tâtons, en suivant le fil d’ariane du chargeur. Mes yeux s’égarent, quelques notifications du monde d’ailleurs, qui se rappelle à moi par le truchement timide mais ténu de ce pictogramme, en haut à droite : 3G.
Je suis réveillé par des jappements. Encore cet imbécile de grand chien noir qui a déjà dévoré la porte centenaire de la vieille grange où, marmot, je construisais des forteresses en rondins de bois de chauffage. Cet animal fait peur aux petites vieilles et nuit à mon sommeil. Je me retourne en enfouissant mon visage sous la couette. Je n’aime pas ce lit. Je ne l’ai jamais aimé d’ailleurs. Nous nous étions trompés sur la fermeté du matelas. Il a un genre d’irrégularité du maintien lombaire que je ne comprends pas et n’aime pas. Je respire dans l’oreiller le parfum douceâtre de confinement, oh, pas celui médical, non, celui de ces draps de maison de vacance, trop rarement aérés. Une odeur de vacances, de temps masqué, de langueur, d’autrefois. C’est tellement agréable, un lit au réveil. Je me lève. L’esprit embrumé, j’avance à l’habitude vers la porte, fait jouer le mécanisme nécessitant un petit savoir-faire. Le salon, vide, se dessine à la lumière froide d’un matin frileux. Sous mon pas, je sens la douceur du parquet de chêne, je traîne un peu les pieds pour en profiter mieux, le parquet proteste d’un grincement qui se répercute dans toute la pièce. Le poêle, comme d’habitude, est mort pendant la nuit. Je n’arriverai jamais à maîtriser sa combustion. La vitre est propre, mais seules de tristes cendres grises s’y révèlent. Machinalement, je l’abandonne en le condamnant d’un long soupir. Il sera temps de s’en occuper, après. L’atmosphère de la cuisine est différente. Un reste de chaleur émane du robuste poêle en fonte. Sa vitre est sale, mais derrière rougeoient des braises têtues. Le sol de pierre, devant, est tiède. Le mur, juste derrière, le linteau de la cheminé, au-dessus, irradient eux aussi encore une vague tiédeur un peu encourageante. Le grincement de la porte rompt le silence. Quelques cendres s’échappent et tournoient dans un rayon de soleil. Nettoyer, rassembler les braises, jeter une poignée de brindilles, une pomme de pin, quelques petits rondins fendus. Patienter jusqu’à entendre les claquements des flammes, et le ronflement de l’air qui s’engouffre dans le foyer. Sentir, sur mon visage encore figé par le sommeil, l’irradiation du brasier. Je frissonne. Dans le silence de cet matin calme, je laisse s’épanouir un long bâillement en faisant craquer mes épaules. Mal fagoté, les cheveux en désordre, je relève le col de ce vieux gilet rouge, informe mais confortable. Je jette un œil à la fenêtre. Des mouches s’y promènent. Je vais ouvrir les carreaux, les laisse s’échapper. Aussitôt, le froid s’engouffre, s’étale, agresse mes pieds nus déjà torturés par la pierre froide. Nouveau frisson. J’inspire lentement, longuement, profondément, cet air supposé sain, piquant et un peu humide où se mélange l’odeur des cheminées et de l’herbe mouillée. J’ai envie d’une cigarette que je fumerai, là, à demi assis sur l’encadrement de fenêtre, par longues bouffées libératrices, les yeux à demi fermés, l’esprit éteint, seulement absorbé par l’envie de vivre ce moment.
Et puis je me souviens que je ne fume pas, de toute manière. Mauvais pour la santé.
Je ne suis pas en Côte d’Or non plus d’ailleurs. Contraire aux consignes sanitaires. Je n’aurai pas pris le risque de ramener le virus à tous mes petits vieux.