Couleur sépia

Le temps était mitigé. Nuageux. Je venais de m’offrir un petite émotion facile en accélérant violemment. Pied au plancher. J’avais un peu honte de ce que pourraient en penser les amis dans la voiture. La route qui se rétrécit. L’attention qui se focalise. Le temps était mitigé oui, je jouais mon petit instant égoïste, mais ils parlaient, plaisantaient. Le week-end se déroulait. Conforme à mes attentes, conforme à mes prévisions même si pour une fois, j’avais tenté de laisser plus de place à l’improvisation. Chacune des collines, chacune des routes, chacune de mes paroles étaient pourtant des reprises, l’éternelle reprise d’un discours rodé lorsque j’étais si fier, et même si heureux, d’écraser à la face des gens ce projet à deux, le mariage d’une histoire personnelle et intériorisée à l’adolescence et d’une histoire amoureuse extériorisée à l’âge adulte. Le pitch parfait.

Explosé.

Mais la partition, elle, répétée. Rééditée. Reproduite. Rabâchée, non pas jusqu’à la nausée, mais dans la tentative qui peut être restera vaine d’adapter, de faire fleurir l’idée intériorisée de l’adolescent sur le champs de ruine d’un accident d’adulte.

Pied au plancher et en pilotage automatique, je voyais défiler sur ces collines, ces forets, ces arbres, ces pâturages, en un filigrane couleur sépia le pédalage frénétique d’un enfant, le sourire large d’un grand père, un doigt levé pour montrer un rapace tournoyant, la solitude d’un adolescent accompagné d’un Setter blanc, assis sur le tapis d’un pâturage, en quête d’une identité autant que d’un sens. Et puis un sourire, un autre garçon, un homme même d’ailleurs, l’enthousiasme sépia lui aussi, et sur ce cliché s’éparpillait quelques sentiments, celui de la sérénité si profond qu’il est presque honteux, et cet autre de la certitude si naïf mais si rassurant aussi.

Pied au plancher, concentré sur la ligne blanche à défaut de mieux car si vide à l’intérieur, si sec que même la rancune s’y dessèche. Pourtant dans un coin de ce désert, comme une petite pousse malingre et hésitante, peureuse, timide, tâtonnante, une petite pousse qui avait bien envie de se manifester et d’ordonner de remplir ce vide, de relâcher du pied l’accélérateur et à la place d’aller poser la main sur une autre cuisse. Pour y sentir de nouveau une chaleur douce et rassurante, en concevoir l’espoir d’un nouveau sentiment de sérénité, et même de certitude. Croire possible qu’un jour la petite pousse malingre aura crû assez que, confronté à ce défilé de vieux clichés couleur sépia, je saurai lever le pied et poser la main sur un autre,  lâcher la route des yeux pour les plonger à la place dans un regard inédit et pouvoir dire, tout simplement, “je t’aime”, de nouveau.

Ce jour là, le vide ne le sera plus, et dans le fouillis qui l’aura remplacé un polaroid se déclenchera et créera un nouveau cliché.

Peut être.

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