Bribes

Bruit de scooter, par la fenêtre ouverte. J’entends un craquement léger et une voix étouffée. Est-ce un rêve ? Je m’imagine dans un fauteuil. Je n’y suis pas. Je suis ailleurs, l’esprit embrumé, égaré dans cet étrange état entre sommeil et éveil. J’en ai conscience. Je cherche à y rester. C’est si agréable. Se sentir dormir, avoir conscience de son repos, c’est presque aussi jouissif que le parfum de la brioche chaude un matin d’hiver. Je me retourne langoureusement, par mouvements désordonnés. J’ai mal à l’oreille droite. Satanées bouchons d’oreilles. Étalé sur le lit, je roule sur le dos. Bien être.

Je ressens un léger torticolis. Agacement. Je respire lentement. Entre les volutes des rêves, je perçois un fauteuil, des visages et des idées, un fauteuil club un peu déglingué, jamais je ne saurait ce qu’il fait là. Des montagnes frappées par des vagues dont je sens jusqu’au goût salé. Un rire d’enfant. Des pétillements. Associée à un mélange d’excitation et de profond laisser-aller, je sens une idée se frayer un passage. “C’est ainsi, pas éveillé, pas endormi, que les instants sont beaux. C’est pur, c’est authentique. On touche du doigt la vérité poétique de l’inconscient en y accédant sans les excessives gesticulations de l’alcool ou d’autres artifices. Il faudrait l’écrire, mais l’écrire c’est se réveiller et se réveiller, c’est quitter et oublier. Dommage. Je ne veux pas”.

Je me dis que ce réveil nocturne est de mauvais augure, qu’il ne faut pas y céder, ou plutôt qu’il faut céder, s’abandonner, retourner au sommeil. Se réveiller seul, de traviole dans le lit, c’est comme une mauvais nuit dans un hôtel inconfortable, mais à domicile. Je sens l’échec venir, les brumes, partir. Les idées engourdies, je m’empare du téléphone. M’interdit de regarder l’heure. Onenote. J’y balbutie quelques sensations avant qu’elles ne s’effilochent. Le fauteuil. Les embruns. Les pétillements. Il faudrait l’écrire, plus tard, et pour ça conserver un souvenir. Il fait un peu trop chaud. Les draps sont un peu moites. C’est la nuit. Le scooter était solitaire. C’est l’obscurité et le silence.

Je me lève, toujours en proie au marécages des songes. La démarche est hasardeuse. Je veux savourer ce réveil. A contre courant, je cherche à rester dans l’océan absurde des rêves.

Sous mes pieds, le parquet s’enfonce, un peu, comme dans ce marécage. Il grince. Je pense à des garçons. Des beaux. Des séduisants. Lui, en particulier, qui m’émeut et qui fait hoqueter mon cœur. Je me dis que j’aurai aimé le découvrir dans mon lit, à l’entracte de cette nuit. J’aurai senti sa présence. Son odeur. Il n’y est pas. A dire vrai, j’ignore même son parfum nocturne. Je n’ai que la ressource de la rêver. Seul dans le couloir, je progresse jusqu’à la cuisine. Le froid du carrelage se substitue au craquement du parquet. J’ai laissé la fenêtre ouverte. Il fait frais. Pas froid, juste frais. Je repense à lui, qui faisait cette différence que j’ai adoptée. Je me sens las. Le froid de la rue, de la nuit, de l’air de Paris, se déverse dans la cuisine, remonte mes jambes, saisi ma taille, glisse dans mes narines. J’en emplis mes poumons, à fond, les yeux fermés, accoudé à la rambarde.

Je reste là, ballotté par les sensations, un instant. Je laisse la tête verser. Savourer. Savourer l’âme encore égarée. Tout est beau, dans les limbes. Il n’y a pas d’heure, pas de contrainte, pas de principe. Juste la liberté.

Le froid se fait plus insistant. Je me sens frissonner. J’entends le battement de l’horloge. Je ne veux pas savoir l’heure, je veux replonger dans le rêve. Juste assez conscient, je sais qu’il ne me reste plus longtemps pour sortir définitivement du sommeil. Je sens que j’ai encore une chance de repartir aisément, je ne suis pas encore assez ancré dans la réalité pour m’y accrocher pour une nouvelle journée. Je n’en ai pas envie. Je laisse un profond bâillement écraser mes épaules, puis j’inspire lentement, longuement, presque langoureusement, le sourire aux lèvres. S’il était là, je le rejoindrai. Il ne l’est pas, alors du même pas lent et irrégulier, je rejoins l’obscurité moite, dépose machinalement le téléphone, m’étale, m’éparpille, m’étends, m’étire, et, dans une longue expiration, me laisse engloutir encore.

Funambulistes

Par une ou deux fois, j’ai été tenté de participer à des ateliers d’écriture créatrice.

Oui, cette première phrase est un plagiat de Pep.

Je regardais ces derniers mois, années, quelques connaissances plus ou moins proches avoir le courage de se lancer. Je ne l’ai pas. Ecrire, c’est si personnel.

C’est l’envie d’écrire qui m’a fait rouvrir un blog.

Un blog parce que c’est personnel, ça évite le risque du ridicule qu’évoque Pep, dans un atelier. C’est égoïste. On se met -je me mets- en danger, mais seul, en étant dieu sur son espace. Pas de risque de réaction négative. Ce n’est pas un récit et des personnages à construire, ça n’est que se regarder soi même. C’est égoïste et rassurant, bref, c’est l’onanisme de l’écriture.

Alors, l’Auberge des blogueurs, c’était l’occasion d’une interaction, de découvrir d’autres techniques d’écritures, de créer un personnage, de le façonner, de constater la manière dont il est perçu par d’autres personnes virtuelles et d’autres auteurs réels. D’un coup, le blog devient protéiforme. On voit ceux qui ramassent le message jeté à la fenêtre. Et le banc public devient un cercle de parole. Je m’y suis précipité.

Pourtant et comme le note Pep, derrière un personnage, il est difficile de ne pas laisser filtrer soi-même. C’est une mission à chaque mot, chaque phrase, chaque évènement inventé. Même en tentant de construire une identité à fondamentalement différente de soi, c’est une gageure. Ecrire l’esprit d’un autre demande soit la même schizophrénie que jouer un rôle, soit d’accepter l’impudeur. C’est peut être un peu pour ça que les blogs sont morts. A partir du moment où nos parents et nos employeurs ont débarqués sur internet, l’impudeur devenait plus difficile.

Mais ce qui me frappe le plus, sur l’Auberge, c’est l’implication exigée pour faire vivre un personnage, encore plus dans un espace ouvert. Il faut lui imaginer une vie, une histoire, un passé, des limites et des envies, mais aussi l’inscrire dans le lieu collectif, en tenant compte de son contexte, sa géographie, sa temporalité, mais aussi des autres personnage et de ce qu’on imagine des autres auteurs, de ce qu’ils souhaitent pour leur propre création. Ce travail d’imagination accapare déjà largement l’esprit, mais il faut aussi penser à la manière d’écrire. Je ne sais pas si mon style a transparu dans mon personnage (c’est probable, si tant est que j’ai un style d’écriture), mais il est net que les textes des uns et des autres sont différents. Mon personnage, finalement, tient son carnet violet avec mon écriture. Première des déchirures dans la mince frontière entre lui, et moi. Mais forcer mon écriture pour être un autre, ça aurait encore ajouté à l’implication, la difficulté et à la schizophrénie.

Pep le note : il est frappant de constater combien le lieu importe peu, dans les écrits. Quasi pas de description des bâtiments, des environs. L’Auberge ne serait pas au milieu des forêts du Jura avec un lac à coté mais en périphérie d’une ville avec un centre aquatique, que les interactions seraient presque inchangées. J’ai tendance à penser que les auteurs, tout accaparés à donner vie à leurs créations, n’ont plus le temps et l’énergie pour les lieux. Cela montre à mon sens le degré d’engagement qu’écrire un livre demande. Et aussi le degré de recul que cela nécessite.

En ce qui me concerne, je sais que mes meilleures réalisations se produisent dans un état second. Ca aussi, Pep le note. Il y a cette transe d’écrire, de faire courir les doigts sur le clavier, de poursuivre sa phrase et sa pensée sans plus respirer. Le faire pour soi, pour un billet de blog, c’est déjà une chose. Le faire pour un personnage, même fictif, est encore plus engageant.

C’est en écrivant, ici, là bas ou ailleurs, que j’ai compris pourquoi un certain nombre d’auteurs en prose ou en vers, peuvent avoir besoin d’aide pour s’évader et produire. Drogues, alcool. Ou nuit, simplement. Lorsque le reste du monde est en pause, on peut se consacrer tout entier au personnage, au lieu, au temps, aux imbrications de scénario.

Ce qui me frappe enfin, c’est l’aspect très bon enfant des personnages. Une bonne partie arrive amoché par la vie. Ou vivent, durant leur séjour, des moments difficiles. Pourtant, le happy ending semble la règle. Nul personnage vraiment pénible, désagréable, voire méchant. Nulle mauvaise foi, nulle véritable exigence capricieuse qui aurait probablement existé dans la vie réelle. Comme si les auteurs avaient du mal à imaginer et faire un personnage négatif, comme si les auteurs ne pouvaient se résoudre au pessimisme. Ou tout simplement, parce qu’à créer ce personnage, on s’y attache, et finalement, difficile de lui vouloir du mal.

Enfin, et ça mérite d’être dit : l’engagement des créateurs de cet auberge doit être colossal. En moyens techniques, déjà, mais aussi en temps : Je suis impressionné par leur vitesse à tout lire, à réagir très vite lorsque les règles sont mal respectées. Et enfin leur abnégation, à ramener gentiment dans le droit chemin quand il le faut les auteurs récalcitrants (qu’ils me pardonnent, je suis tellement mauvais élève pour ça). Ils doivent être remerciés. Merci !