Jeanne

Lucien,

Les carottes sont en terre, ainsi que le fenouil, quelques courges et aussi cette année, un peu de brocoli. Je les ai mis à côté des laitues repiquées jeudi dernier. Elles sont d’ailleurs assez vilaines pour l’instant, M. Romy a beau jeu de dire que ce sont les meilleures et que les plans sont garantis. Surement ont-ils été poussés dans des serres et l’adaptation au jardin aéré est difficile. Je les arrose pourtant soigneusement. J’espère que les haricots d’Espagne auront au moins de belles fleurs. M. Romy m’a promis que les Lady Di seront écarlates. J’ai hâte.

J’ai désherbé les petites allées à côté des plans de tomate, qui, eux, vont bien. Oh, j’ai eu mal à mes pauvres genoux, c’est dur. Tu verrais mes pauvres jambes, je souffre, je souffre. 85 ans dans quelques jours, ils sont bien là et je suis fatiguée, surement est ce ma dernière récolte de toute manière. Mais tu serais content de voir combien le jardin est bien tenu, et le cerisier va surement bien donner cette année encore. Je pourrais faire mon clafouti que tu aimais. J’y pense, je ne pourrais plus en offrir à ce pauvre Monsieur Charles. Je prie pour lui tous les soirs, je sais que tu ne m’en veux pas, tu sais que toi seul reste cher à mon cœur. Mais Monsieur Charles, quel malheur tout de même que ce virus, lui qui était encore en si bonne forme. Je lui avais préparé des boutures de mes géraniums.

Les Agostini n’ont toujours pas entretenus, eux. Quelle désolation de voir un extérieur si mal tenu, vraiment. Leurs mauvaises herbes passent la clôture et c’est moi qui doit ensuite nettoyer. A leur âge, vraiment… De plus il n’y a véritablement rien à faire, ce n’est que de la mauvaise herbe, du trèfle et du pissenlit, voilà ce qu’est leur pelouse, avec une de ces tondeuses électriques ça serait rapidement propre. Ils préfèrent prendre le pastis sur leur terrasse. Je sais que c’est du pastis parce que j’ai vu la couleur, ah ça, mes yeux ne me trahirons pas comme les jambes, et heureusement encore ! Oh je ne juge pas, mais tout de même. Déjà que leurs deux garnements ont ravagé mes jolies tulipes avec leur ballon pendant le confinement. Enfin ça ne fait rien, je dis ça mais c’est la jeunesse, au moins ça fait un peu d’animation dans le quartier.

J’ai mangé ma petite salade avec quelques rillons. Je sais, je sais, le beau docteur Farcy me dit toujours que c’est trop riche, mais enfin à mon âge, vais-je me priver ? Te souviens-tu combien nous les aimions à la ferme de Crotelles ? Les pleins pots qui en étaient remplis lorsque Marcel Jeanfou tuait le cochon ? Oh je n’aimais pas ça lorsqu’il le saignait, pauvre bête qui criait, mais c’était son destin de toute manière. Je n’aimais pas le Marcel non plus, avec ses oursins dans les poches à l’heure de la quête alors que sa resserre était pleine. Mais nous étions si jeune et heureux même si l’ouvrage était dur. Et puis tu étais si beau, je te revois avec ton habit du dimanche. Allons, je suis émue, je vais pleurer encore tant tu me manques.

Je vais aller m’allonger un instant.

Ta Jeanne qui t’aime

Le 15 juin 2020, après des mois de travaux, l’auberge des blogueurs ouvre ses portes pour la saison estivale. Ça sera le complément indispensable à votre roman de plage. Elle ne le sait pas encore, mais Jeanne, pour la première fois de sa vie, va partir en vacances et sortir d’Indre et Loire pour se rendre dans cet hôtel du Jura.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *